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Accueil / Mémoires & filiations
Mémoires & filiations
Entretien avec Lauro Capdevila, Directeur en études Hispaniques et Latino-Américaines,
Braun-Vega, Mémoires (catalogue de l'exposition à la maison des arts), Ville d'Antony, 2009
Braun‑Vega: mémoires et filiations (Catalogue), Fundação Memorial da América Latina, São Paulo, 2010
Lauro Capdevila - Ton travail est-il centré sur la mémoire ?
Herman Braun-Vega -
Depuis quelques décennies, je travaille sur la mémoire du spectateur à trois niveaux : la mémoire individuelle, la sociale et l’historique.
Les enfants, et aussi les adultes les moins préparés, peuvent avoir accès au premier niveau. Les deuxième et troisième seront plus facilement accessibles aux spectateurs politiquement et/ou culturellement mieux formés.
Pour faciliter la compréhension de mon travail, j’ai dû l’ajuster formellement, mais aussi perfectionner la technique très libre que j’avais utilisée auparavant pour réussir à mettre ensemble dans un même espace pictural des formes depuis les plus orthodoxes jusqu’aux plus contemporaines. En disant cela, je parle de la réalisation plastique...
De plus, dans son contenu conceptuel / narratif, mon travail doit être un témoignage ; il doit interpeller la mémoire du spectateur qui par son regard et sa réflexion recrée l’œuvre selon ses connaissances et son expérience vécue.
Lauro Capdevila - Organises-tu formellement tes tableaux en faisant intervenir tous les “ -ismes ” inventés à partir de la fin du XIXème siècle ?
Herman Braun-Vega - Les “ -ismes ” auxquels tu te réfères sont postérieurs à l’invention de l’appareil photo, dans la seconde moitié du xixe siècle, qui a affranchi les artistes d’être la mémoire visuelle de la société. Apparaissent ainsi l’impressionnisme, le fauvisme, le cubisme, l’abstractionnisme, etc. Tous ces apports des xixe et xxe siècles, je les utilise pour construire plastiquement et conceptuellement mes toiles. L’important est que le résultat final soit cohérent.
Lauro Capdevila - Quelles fonctions remplissent dans tes tableaux les transferts d’encre de fragments de journaux ?
Herman Braun-Vega - Les transferts d’encre d’informations de presse que je fais dans mes tableaux ont une fonction plastique dans la construction de l’œuvre. Comme j’en choisis le contenu, ils remplissent aussi une fonction d’information sur les situations sociales et politiques et les événements contemporains du moment où j’ai fait ce tableau. J’espère ainsi orienter sa compréhension sociale ou politique.
Lauro Capdevila - Peut-on remarquer dans ton œuvre ta préoccupation pour ce qu’on appelle le métissage ?
Herman Braun-Vega - Oui, c’est une motivation importante de mon travail. Mon attention est attirée par les conséquences des rencontres qui se sont produites sur le continent américain à partir de 1492, de façon violente et dans des temps très courts. Cela a eu comme conséquences le syncrétisme et le métissage qui caractérisent notre identité américaine.
Lauro Capdevila - Il me semble que ta trajectoire picturale, formelle et conceptuelle a une grande dette vis-à-vis de Picasso.
Herman Braun-Vega - Peu après mon retour à Paris, en 1968, je me suis rendu avec Lisbeth à Barcelone où on venait d’inaugurer le musée Picasso. J’ai pu voir sa série sur Les Ménines. C’est là que j’ai ressenti un véritable choc. Je me suis rendu compte que Picasso avait réalisé une œuvre magistrale de déconstruction, mais qu’il n’avait pas pris en compte un aspect très important : la temporalité. Le génie de Vélàzquez consiste à fixer sur la toile un instant de la continuité temporelle. Picasso n’a pas réussi cette instantanéité dans cette série. J’ai appris aussi que Don Pablo avait réalisé les 53 tableaux de cette série en deux mois et demi. À mon retour à Paris, je me suis enfermé pendant deux mois et demi et j’ai réalisé à mon tour une série de 63 tableaux sur Les Ménines de Vélàzquez - un jour il faut bien tuer le père !
Rencontres inattendues sur le Vieux Port.
D’après Velázquez, 2008
Lauro Capdevila - Pourquoi le choix du Vieux Port de Marseille comme lieu de la rencontre ?
Herman Braun-Vega - De tous temps, les rivières, les mers et les océans ont été des voies de conquêtes et d’échanges, facilitant métissage et syncrétisme. Puisque ce sont les sujets de ce tableau, le Vieux Port de Marseille, comme décor, me semblait parfait. D’ailleurs, sur la table de la marchande de fruits et légumes, on peut apercevoir des oranges qui viennent d’Asie, des bananes, qui viennent d’Afrique, des tomates, du maïs, des avocats et des pommes de terre, qui ont été cultivés en Amérique latine bien avant l’arrivée des Espagnols, et qui, par exemple, durant les xviiie et xixe siècles, ont sauvé de la famine les populations européennes. Voilà un exemple de syncrétisme pacifique.
Lauro Capdevila - Je reconnais la marchande de légumes qui nous tourne le dos, au premier plan du tableau, à droite.
Herman Braun-Vega - Oui, c’est un personnage que je tire des Fileuses (5), le magistral tableau de Vélasquez. Le geste de la jeune femme qui travaille la laine devient dans mon tableau un geste de rejet de la Péruvienne qui est debout à gauche. Cette jeune femme pourrait être la fille ou la petite-fille d’un réfugié espagnol de 1939 et elle semble oublier que tous les produits qui sont sur sa table sont conséquence de la colonisation des autres continents. À ses pieds, un petit chien (6) aboie furieusement contre l’importune. Lorsqu’on apprend l’histoire de l’Amérique, on parle de chevaux, d’armures, d’armes à feu, en oubliant l’importance de l’existence des chiens de guerre que les Espagnols avaient élevés et déjà utilisés contre les Maures pendant la Reconquête, et qui ont servi au moment de la colonisation comme instrument de guerre contre les populations indigènes.
Lauro Capdevila - Tout cela avec un regard ironique, me semble-t-il.
Herman Braun-Vega - J’ai pu constater que pour faire passer des réflexions graves, l’ironie et la distanciation sont d’excellents moyens.
Lauro Capdevila - Dans l’angle inférieur gauche, on aperçoit une boîte en carton, avec le logotype Coke, qui sert de poubelle.
Herman Braun-Vega - On n’a pas oublié que le président cow-boy Reagan, parlant du continent au sud des États-Unis, avait répété en son temps que c’était l’arrière-cour et le potager des U.S.A. Dans les papiers froissés, on peut trouver le dernier discours de Bush adressé à l’Amérique, ainsi qu’une information à propos de la pollution d’une rivière en France et d’un grave tremblement de terre au Pérou. Au deuxième plan, on voit, face aux deux marins-pêcheurs, une jeune fille souriante. C’est la seule qui regarde vers nous, c’est une métisse originaire des départements français d’outre-mer. C’est la seule qui donne l’impression d’être à l’aise dans cette rencontre.
La réalité est ainsi ?
(Goya, Picasso, Ingres, El Greco), 1996
Lauro Capdevila - Peindre un triptyque, ce n’est pas faire trois tableaux séparés, n ’est-ce pas?
Herman Braun-Vega - Oui, dans un triptyque, chaque tableau doit trouver sa solution propre, aussi bien techniquement que dans son contenu. Mais l’assemblage des trois panneaux doit élargir et enrichir le contenu formel et narratif de l’œuvre. Tu dois toujours avoir à l’esprit le projet global.
Lauro Capdevila - J’ai d’abord été frappé par le caractère presque monochrome de l’ensemble.
Herman Braun-Vega - La technique est le graphite et le fusain sur une toile de coton marouflée sur bois avec transfert de l’encre de fragments de journaux et de gravures du chroniqueur péruvien Huamán Poma de Ayala (1534-1618) et cadre de bois polychrome.
Lauro Capdevila - Il me semble que l ’articulation de l’œuvre permet de développer une vaste réflexion sur le métissage, mais pourquoi le peintre à droite ?
Herman Braun-Vega - Le thème du métissage est bien là, mais aussi le mélange des cultures, le syncrétisme. Au-delà, l’œuvre porte sur l’invention « artistique ». D’où mon autoportrait.
Lauro Capdevila - Parle-nous un peu du tableau à gauche et de la diversité des personnages représentés.
Herman Braun-Vega - Eh bien, il y a deux enfants qui dansent au son de la musique d’un violoniste aveugle et d’un jeune flûtiste.
Lauro Capdevila - Ce sont des instruments qui proviennent d’univers différents.
Herman Braun-Vega - Exactement. Le violon vient d’Europe et la quena est typiquement andine. Cependant, ces deux instruments s’unissent pour produire une mélodie originale très authentique. C’est un bon exemple de syncrétisme musical. Cette scène joyeuse, au premier plan, représente peut-être la capacité d’adaptation, de renouvellement et d’invention de nos peuples négligés et maltraités.
Lauro Capdevila - Il y a un vrai contraste entre le charme qui émane de cette danse et les personnages qui observent au fond.
Herman Braun-Vega - Il s’agit d’une matrone vêtue à l’européenne et d’étranges êtres posés sur un arbre... des volatiles à tête humaine ! Ce sont des créatures de Goya (7). Mais que font-elles ici à observer, ou peut-être à surveiller les gens du peuple ? Sont-elles ceux qui nous gouvernent ? Est-ce le FMI ? Laissons ses propres conjectures à celui qui regarde le tableau.
Lauro Capdevila - Le panneau de droite nous transporte dans un monde fort différent.
Herman Braun-Vega - Oui, à première vue. C’est un autoportrait et, comme Vélazquez dans Les Ménines, l’artiste tourne son regard vers nous qui sommes à l’extérieur du tableau. L’effet est perturbant. L’artiste nous observe-t-il pendant que nous contemplons son œuvre ? Est-ce une manifestation d’égocentrisme ? Au premier plan, on trouve ses modèles : une nature morte qui renvoie à la réalité quotidienne et la célèbre Baigneuse d’Ingres (8) qui rappelle la continuité culturelle. Ce personnage dialogue avec une mère indigène qui semble sortir d’un Guernica (9) mutilé et falsifié qui se trouve au fond, derrière le peintre. L’artiste peut-il ignorer la violence de nos sociétés ?
Lauro Capdevila - Après ces deux volets latéraux, nous pouvons obser ver le corps central du triptyque.
Herman Braun-Vega - Eh bien, nous reconnaissons Picasso (10) et García Márquez qui sont engagés dans un dialogue qui semble désopilant. Le lieu représenté et les personnages qui les entourent sont-ils la réalité ? Ou est-ce la représentation graphique de l’histoire qui les fait rire ainsi ?
Lauro Capdevila - Au premier plan, un enfant nu se cache les yeux. Pourquoi ?
Herman Braun-Vega - Nous ne savons pas vraiment. Pour ne pas voir ces êtres inventés par Goya, fruits d’un métissage extrême entre le volatile et l’homme (11), qui déambulent déplumés et paniqués à la recherche d’une issue ? Ou bien pour ne pas voir la vieille coquette (12) et la maquerelle, personnages goyesques qui nous rappellent les oligarchies au pouvoir ?
Lauro Capdevila - Au fond il y a un autre personnage un peu inquiétant.
Herman Braun-Vega - Oui, le cardinal grand inquisiteur Niño de Guevara (13) dont le Greco a fait le portrait est assis devant un pendu. Il écoute et observe les deux maîtres avec un regard méfiant et critique. Comme le fait le Vatican au sujet de tout ce qui s’éloigne des dogmes de l’Église ?
Lauro Capdevila - Il est vrai que la vie est ainsi.
Herman Braun-Vega - Mais... ¿ LA REALITE EST AINSI ?
Don Pablo baila un huayno (danza andina de la Sierra peruana) bajo la mirada sorprendida de Matisse, 2005.
Lauro Capdevila - Picasso et Matisse réunis dans un tableau ?
Herman Braun-Vega - Le contenu narratif du tableau est une réflexion sur l’amitié et la compétition fraternelle qui a réuni leur vie durant ces deux grands maîtres. Matisse observe, mi-amusé, mi-étonné, Picasso qui se met en scène - comme il en avait l’habitude - en dansant au son de la musique jouée par la “quena” (flûte indigène précolombienne).
Lauro Capdevila - Plusieurs éléments dans ton tableau sont pris des œuvres de ces deux artistes.
Herman Braun-Vega - Oui. En réalité, il y a trois citations: une photo faite par Duncan, où on voit Picasso (14) en train de danser, des fragments des Demoiselles d’Avignon (15) dessinées sur le mur du fond, et enfin, un nu bleu (16) tiré d’une œuvre de Matisse. En plus, réunissant ces fragments, on trouve des réinterprétations de fragments de Guernica (17) et des Ménines, à la manière de Picasso.
Lauro Capdevila - Il y a de la provocation dans la manière dont tu présentes Picasso.
Herman Braun-Vega - Ce n’est pas moi, c’est lui qui se met ainsi en scène pour le photographe. Je pense que c’est le premier artiste people de l’histoire. Je détourne le document pour le faire danser un huayno, jouée par le musicien péruviens qu’on trouve à côté de lui. C’est une danse précolombienne, encore vivante aujourd’hui au Pérou, où l’homme offre son bras à son élue pour l’inviter à danser avec lui. C’est bien ça que Picasso a fait pendant un siècle, à nous, les artistes : il nous a fait danser grâce à son génie.
Lauro Capdevila - C’est une danse au son de la “quena” andine...
Herman Braun-Vega - Oui, parce que Picasso fonctionne comme un prisme ; il a utilisé les cultures d’Amérique, d’Afrique et d’Asie, grâce auxquelles il a inventé un nouveau langage plastique.
Lauro Capdevila - Ici, dans ce tableau, tu portes à nouveau ta réflexion sur les filiations.
Herman Braun-Vega - Matisse et Picasso sont deux des grands maîtres qui ont eu une place prépondérante dans ma formation conceptuelle et formelle.
Lauro Capdevila - Pourquoi le chien et le paysage marin ?
Herman Braun-Vega - On a tendance à ignorer que les chiens qui aujourd’hui nous tiennent compagnie ont servi dans le passé, depuis les Grecs, comme armes de guerre et de conquête. Et la mer, c’est l’unique paysage en dehors de la zone polaire et des grands déserts qu’on peut contempler aujourd’hui comme l’ont fait nos ancêtres, sans être perturbé par la pollution produite par les civilisations.
¿ Qué tal ? Don Francisco à Bordeaux ou Le rêve du novillero
Lauro Capdevila - Le dialogue que tu instaures entre artistes d’époques et de pays différents devient ici une riche et complexe polyphonie.
Herman Braun-Vega -
Il s’agit ici de suivre les filiations possibles en partant de Francisco de Goya. Ce tableau, je l’ai réalisé pour une exposition à Bordeaux. Goya devient incontournable, car, comme tu le sais, il a passé les dernières années de sa vie dans cette ville où il est mort, accompagnés de réfugiés espagnols qui avaient dû fuir la persécution des autorités du royaume. J’imagine l’atelier de Goya avec une fenêtre qui donne sur l’angle formé par la rue de l’Hôtel de Ville et la place Pay-Berland. On aperçoit la cathédrale et un bistrot.
Les deux personnages en bas à gauche, assis sur un coussin rouge, sont le bouffon Niño de Vallecas (18) et le nain Calabacillas (19) peints par Vélàzquez. On connaît l’importance que Don Diego a eu dans la formation de Goya. Derrière le maître, on aperçoit un personnage tiré d’une œuvre de Manet, Le chanteur espagnol (20). On sait que Manet a découvert au début de sa formation Vélàzquez et Goya, deux artistes qui ont marqué son œuvre. Derrière le guitariste, on peut voir le portrait de madame Gaudibert (21), peint par Monet, qui dans sa première période fut influencé par Manet. Accroché au mur du fond, on trouve L’homme mort peint en 1865 par Manet (22) (on prétend qu’il l’a réalisé après avoir observé le tableau El Soldado muerto attribué au xixe siècle à Vélàzquez). Il s’agit sans doute d’un novillero. On appelle
ainsi les jeunes aspirants au titre de matador qui, pour le devenir, doivent recevoir l’alternative d’un matador confirmé avant de pouvoir officiellement affronter les taureaux.
Au-dessus de lui, on voit une scène de tauromachie. Sur le mur derrière le guitariste, on trouve le tableau Une dame en costume espagnol peint par Goya (23).
Lauro Capdevila - Comment définis-tu donc les filiations dans ces cas-là ?
Herman Braun-Vega - Avec ironie et respect, j’essaie de montrer la paternité de Vélàzquez vis-à-vis de Goya, de Vélàzquez et Goya pour Manet, de Manet pour Monet, et pour ne pas m’arrêter en si bon chemin, d’une certaine manière, je me situe moi-même dans la suite de cette filiation car je reconnais en faisant ce tableau mon appartenance à cette famille.
Lauro Capdevila - Il y a aussi la violence représentée dans les transferts d’encre.
Herman Braun-Vega - Oui, la violence passée comme la violence contemporaine. Dans la partie supérieure du tableau que Goya (24) est en train de retoucher, on trouve le transfert d’encre de quatre gravures, une tirée des “Caprichos” (25), et les trois autres tirées des Desastres de la guerra (26) (27) (28). On trouve aussi des fragments de journaux, où on peut lire : “la condamnation des membres du Ku Klux Klan”, “l’insécurité grandissante au Venezuela”, “[au Pakistan] la Mosquée rouge aujourd’hui occupée”, attentat suicide de Al-Qaida”...
Lauro Capdevila - Et la jeune fille qui dialogue avec Don Francisco, serait-elle la belle laitière qui a servi de modèle pour le dernier tableau peint par Goya à Bordeaux ?
Herman Braun-Vega - Peut-être...
Mémoire
Lauro Capdevila - Ce portrait fait-il également partie de ton travail sur la filiation ?
Herman Braun-Vega - Oui. En 1933, Francis Bacon a pu visiter une exposition de Picasso consacrée à des crucifixions, réinterprétation d'un des sujets les plus représentés dans la peinture et en particulier, dans la peinture espagnole. L'émotion fut si grande chez Bacon que c'est seulement à cette date qu'il a décidé de devenir peintre. C'est pourquoi je place un transfert d'encre, reproduction d'une crucifixion faite par Picasso en 1933 dans la partie supérieure de la forme pyramidale qui enferme le personnage baconien, à droite de la toile.
Lauro Capdevila - C'est une présence tutélaire, qui protège et oriente. Mais on peut reconnaître aussi le portrait du pape Innocent X réalisé par Velàzquez.
Herman Braun-Vega - En réalité, si tu regardes bien, il s'agit d'un tableau dans le tableau. J'ai emprunté à un tableau de Bacon le personnage assis sur la chaise et j'ai remplacé sa tête, en la déformant à la manière de Bacon, la tête peinte par Vélasquez. C'est un clin d'oeil que je fais aux sources qui ont permis de développer la créativité de Don Francis. On sait que bien plus tard, après la visite de l'exposition de Picasso, Bacon découvrit le portrait d'Innocent X et c'est là que s'ouvrirent de nouvelles possibilités pour lui, grâce à l'apport de Velâzquez sur l'instantanéité.
Lauro Capdevila - Oui. On a l'impression de cette instantanéité et de cette fugacité.
Herman Braun-Vega - C'est cela que Bacon va amener à des extrêmes incroyables. Le personnage baconien est traduit dans une gestualité d'une grande violence, ce qui pourrait devenir insupportable sans le complément de la gamme chromatique présente dans ses oeuvres, qui sont d'une particulière beauté et sérénité.
Lauro Capdevila - Alors, quel rapport de filiation établis-tu entre Bacon et toi-même ?
Herman Braun-Vega - Il pourrait être mon frère aîné. Bien plus tard, quand je savais déjà que mes deux "pères" en peinture étaient Velàzquez et Picasso, j'ai découvert qu'il y avait un autre peintre qui avait les mêmes ancêtres.
Lauro Capdevila - Il y a aussi des références à l'univers formel de Bacon.
Herman Braun-Vega - Oui, par exemple, l'ampoule qui pend - je la rends beaucoup plus figurative, moins synthétique -, le store, et aussi la forme courbe de l'espace. Et là, à gauche, se trouve Bacon, en train de nous observer de son regard impénétrable, indéchiffrable, perturbateur, n'est-ce pas ?