Herman BRAUN-VEGA
Artiste peintre (1933-2019)

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Mémoires dénudées

Par Julio Ramón Ribeyro pour le catalogue de l'exposition de 1987 à la galerie Pascal Gabert, Paris

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Diane des tropiques (Boucher)

Depuis une vingtaine d'années, Braun-Vega utilise le répertoire iconographique de la peinture occidentale comme un des éléments de sa peinture. À des images prises chez Rembrandt, Ingres, Goya ou Manet - parmi d'autres - il ajoute des images du monde contemporain, créant ainsi des figures incongrues, grâce au télescopage de personnages et d'objets d'époques, de cultures et de lieux différents, qui dérègle la perception du modèle original et le détourne de sa signification.

Cette fois-ci, il se sert du nu pour articuler ses œuvres. Pourquoi le nu ? Parce qu'il lui permet d'élargir l'espace où il s'approprie, de manière flatteuse et tout à la fois impertinente, les sujets de la peinture classique. Comme il l'a déjà fait avec les paysages, les portraits ou les natures mortes. Et aussi parce que le nu, outre son attrait purement esthétique, est un vecteur par lequel exprimer plastiquement des propositions qui relèvent du domaine abstrait des idées.

Car il est évident que la peinture de Braun-Vega est idéologique et discursive, que ses tableaux sont non seulement des objets que l'on regarde, mais également des textes que l'on lit. Tout en appréciant leur virtuosité formelle, que peut-on lire dans ces tableaux ? A mon avis, deux choses :

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Don Alfredo ou la Venus dans la chambre rouge (Vélasquez)

L'avancée à chaque fois plus visible du Tiers-Monde dans le territoire privilégié de l'Occident; et la prémonition d'une civilisation nouvelle issue de la promiscuité, du contact, du croisement, du métissage ethnique et du synctétisme culturel.

Un écrivain, pour exprimer cela, aurait eu besoin d'écrire un long essai. À Braun-Vega, il suffit de placer côte à côte dans un même espace pictural deux métisses nues et la "Diane au bain" de Boucher, ou encore le romancier péruvien Alfredo Bryce Echenique très intérressé par la "Venus au miroir" de Velásquez et, qui sait, disposé à la rejoindre sur son divan... Périphériques, différents, barbares, nous sommes déjà installés dans les grandes métropoles du monde développé - et même dans les tableaux qui ornent leurs musées.

Julio Ramón Ribeyro
Paris, juin de 1987
(traduit de l'espagnol)